Retour de l’expo des textes. Merci de la participation !

Les Photos qui ont inspiré les textes !


Les textes :


Les lavandines

Les avis divergeaient.
Était-ce une conséquence du dérèglement climatique, un agent chimique inconnu présent dans le
sol, une manipulation génétique échappée d’un laboratoire de recherche, ou une mutation naturelle
en relation ou non, avec l’une ou l’autre de ces hypothèses ?
Certains y avaient vu la main (s’ils avaient des mains) d’extraterrestres expérimentant des toxines
capables d’assujettir les consciences humaines. Ou celles (les mains, pas les consciences) de Moscou,
Pékin, Washington, Pyongyang, Téhéran, Canberra. La liste n’était pas exhaustive.
Le débat était loin d’être tranché.
Une seule certitude semblait pour l’instant surnager dans ce flot d’explications plus ou moins
rationnelles, plus ou moins bien, plutôt moins, étayées. En cet été 2023, dans le sud de la France, les
lavandes en fleur (Lavandula angustifolia) commencèrent à émettre, sous forme d’esters
extrêmement volatiles, un puissant psychotrope.
Un psychotrope particulièrement hallucinatoire et euphorisant.
Les premières victimes ? Expérimentatrices ? Usagères ? (Ici, il est nécessaire d’affirmer qu’il n’y a
aucune prise de position morale, éthique ou juridique de la part des auteurs. Les faits, simplement
les faits, uniquement les faits seront exposés) furent un groupe de quatre amies qui de retour d’une
fête, ayant un besoin physiologique bien compréhensif et irrépressible à satisfaire, d’autant que la
dite fête avait été particulièrement arrosée, et ne trouvant aucun bosquet, buisson, replis du terrain
pouvant servir d’écran visuel à leur affaire intime, s’enfoncèrent de quelques dizaines de mètres dans
un champ de lavande en fleur bordant la route.
Très vite, racontent-elles, un sentiment de bien être, puis de bonheur (c’est le terme qu’elles
employèrent spontanément) et enfin, d’une sorte de béatitude, les envahirent. Chose étrange, mais
que des relations croisées avec d’autres lavandines et lavandins (l’expression s’imposa très vite)
semble confirmer, toutes les quatre eurent l’impression, puis la sensation d’être transformées en des
sortes de chimères, mi-femmes, mi-animales. Bien incapables de dire combien de temps dura cet
état hallucinatoire, toutes confirmèrent l’étrangeté et le haut niveau de plaisir (qui deux d’entre elles
l’avouèrent, avait une indéniable connotation sexuelle) que leur procura l’expérience.
Expérience qu’elles ne tardèrent pas à reproduire aussi souvent qu’elles le purent. Une fois ourse,
une fois cane, une fois jument, une fois renarde, une fois hase, le champ des possibles était inépui-
sable. Comme semblait inépuisable l’enrichissement psychique procuré par cette plongée au-delà de
l’espèce. L’une d’elle déclara (nous nous en tiendrons à l’anonymat) : « À chaque fois, vraiment, j’ai
vu s’ouvrir en grand les Portes de la Perception ! ».
Si le phénomène fut initié sur le plateau de Forqualquier, il ne fallut pas longtemps pour que l’infor-
mation se propageât de bouche-à-oreille et d’un département à l’autre et bientôt, on vit toute sortes
de ces lavandines et lavandins, sexe, âge, niveau social confondu, caracoler de jour comme de nuit
dans les champs de lavandes odoriférants. Chacun transformé un temps en un animal joyeux, amical
envers les autres et plein de fougue.
Les autorités admirent leur incapacité à endiguer le fléau (selon la terminologie officielle) du
lavandisme et après avoir émis l’idée absurde et inapplicable d’éradiquer la lavande de toute la
surface du territoire national, renoncèrent à légiférer.
Nous ne prendrons pas parti dans les multiples controverses et débats qui fleurissent sur les dangers
supposés ou réels lié à cette nouvelle pratique.
Le champ de lavande est là, devant nous. Nous en sentons déjà l’odeur tonique lumineuse et
inimitable.
À quelques mètres s’ébattent gaiement un loup et un agneau.


Denis Infante
Inspiré par la photo 1 de Marie Burel


Le désordre du temps ne laisse tranquille personne
Aucun mur aucun sol aucune ouverture ne sauraient passer au
travers du verdict du temps
Ce temps fait ce qu’il veut de nous la matière ne lui fait pas peur non
plus tels ces instants de transparences surgis d’on ne sait ou
Monsieur le temps vous êtes la
Que voulez-vous au juste de moi
Mon témoignage vous serait-il goûteux à entendre
L’idée vous viendrait elle de me faire perdre la raison un temps soit peu
Voulez-vous que j’hurle de peur
Dois-je raisonner de façon cartésienne
Devrai je m’extasier devant tant d’étranges beautés
Monsieur le temps qui passe, écoutez moi bien, je suis la lumière qui passe
partout avec ou sans passé
Amusons-nous encore ensemble !!!!!

Frank Michel
Inspiré par la photo 2 Przemyslaw Dominik


Marie aussi

Dans la bouche ouverte
de Vishnou
il y a paraît-il
l’univers tout entier
Dans l’oeil de Marie
aussi
Dans l’estomac de la chouette
il y a un écureuil
dont l’oeil
contient le lac, le reflet de la lune et toute la voûte céleste
Comme l’oeil
de Marie.

La MC.
Inspirée par les photos 3 et 4 de Marie Saorin Gantes


Je t’aime. Moi non plus.
La Vie, une grande arène construite juste pour nous, à ses bords une armée d’ombres
qui nous épient, nous huent, nous crachent dessus et pourtant nous envient.
Fuis, si je t’attrape c’est dans un chaudron rempli de ton sang et du son de leurs cris
que je veux t’aimer et bercer tes membres et tes abats et panser ton cœur ouvert.
Les applaudissements sourds de la foule, les yeux dardés d’éclairs, la lumière crue, la
chaleur, et moi, cornes pointées vers le ciel comme deux verges fières, étincelant de
sueur.
Oui, fuis moi, tu sais notre Amour impossible. C’est celui de Roméo et de Juliette que
tu aimais tant voir sur les planches et qui meurent à la fin. C’est celui de Pâris et
d’Hélène de Sparte pour qui on brûla des cités, sauf qu’aucune cité ne brûlera pour
nous, car c’est nous déjà qui brûlons pour elles.
Le Soleil est haut. Tu portes ton costume de mariage blanc et moi ma robe noire
endeuillée, et nous dansons, dansons, dansons, et dansons encore comme deux pôles
contraires qui font tourner le monde sans jamais se toucher. Tant que durera la danse
notre Amour sera un grand halo qui nous enveloppe et enveloppe tout. Une étreinte
et l’Univers s’effondrera sur lui-même, les étoiles s’éteindront, notre Soleil perdra son
éclat pour devenir un roc dur et stérile.
Il fera froid, il fera noir.
Alors fuis moi.

Tim Beauvois
Inspiré par la photo 6 de Sabri Allouani


Poudrée de rose s’impose
Sur les monts et merveilles
Qui nous invite au regard à l’infini
Elevés et inspirés
Emplis d’Amour
Pour toujours
Tels des cerfs-volants en rêve d’éternité
Nous voilà déjà sur les toits du monde
Toits de vous, toits de toi(s)
Mais toujours ancrés
Ainsi soit-il

Marcelle DESAULT
Inspirée par la photo 8 de Ian Lunn


Les 3 valises

Quand elle su que le moment était venu,
La vieille dame du 3, rue Quincampois
A soigneusement rangé sa vie
3 valises
Dans la première, ses petits bonheurs,
Dans la seconde, ses désirs à réaliser,
Dans la troisième ?
Je vous laisse deviner
Puis,
Discrètement s’en est allée.

Danielle Lagueyrie
Inspirée par la photo 10 de Marie Burel


Elles sont trois. Trois valises entassées là, fermées, en attente
d’on ne sait quoi. Ce ne sont pas des valises pour adultes.
Certains angles ont la rondeur de l’enfance. Trois enfants
donc. A qui on a demandé de prendre ce qui leur tenait le plus
à coeur.
L’un d’eux a choisi tous ses guerriers, ses canons et ses
hélicoptères. Il a compris qu’il fallait fuir, il en aura besoin.
Une autre a pris tous ses playmobiles parce que, partout où
elle va, elle a besoin d’aménager le théâtre de sa vie pour se
sentir chez elle.
Le petit dernier a pris tous ses doudous de tissus, de laine et
de fourrure. Il ne connaît pas de meilleure protection en
l’absence de sa mère.
Manque la valise de l’aîné. Il est en train de la remplir d’un
maximum de livres qu’il connaît déjà par coeur, qui lui ont
appris à voir le monde par d’autres yeux que les siens et qui
racontent comment surmonter les obstacles.
Ils sont prêts. Ils vont pouvoir quitter ce décor saturé de rose
dans lequel ils ont vécu la douceur et la sécurité mais qui n’est
plus d’actualité. Il faut fuir. Tant pis.
Ils partent avec tout ce qu’il faut pour grandir ailleurs.

Danielle Rieu
Inspirée par la photo 10 de Marie Burel


Les valises sont au voyage ce que la cage est à la liberté.
Elles nous contiennent
Provisoirement ou durablement.
Arrivés sans bagage, nous repartons sans bagages.
Si on les ouvre ….
Si on les ferme….
Si la valise est immobile, partageuse, mouvante, personnelle.
Coquette, générationnelle
Rose pour les filles
Neutre pour les garçons
A roulettes pour ceux qui refusent la gravité et sa pesanteur.
Si je devais partir
Je poserai dans l’une un kg de pâquerettes
Un kg de chant d’alouette
Et dans la suivante toutes les clés des champs

Catherine Prevot
Inspirée par la photo 10 de Marie Burel


Valises gardiennes de nos mémoires

.1 Valises comme bagages
Rythment les âges .
Layettes et chemisettes
Dans l’une d’elles
Ravivent les émois
De nos premiers pas.
L’élégance et la rigueur
De nos toilettes
Contenues dans la deuxième,
Sont les témoins
D’une alternance
D’évènements intenses
Qui ont façonné
Notre vie de Femme, d’Homme.
La dernière, encore ouverte
Cherche à se délester
Des étoffes qui encombrent.
Elle s’allège
Pour être mieux portée
Et ne garder en souvenir
Que le velour
Des années passées

.2 Valises comme signatures.
L’une débordante d’envies
Excentriques à intimistes
La chair s’y exprime
Au gré des humeurs et fantasmes
Elle exulte de plaisir.
La deuxième signe le voyage;
Une découverte
D’un autre «chez soi»
Peuplé de sourires et de rires,
Une invitation des sens inédite,
Rencontrer la différence
Y déceler nos vulnérabilités.
La troisième s’exile,
Le choix n’est plus de mise,
L’histoire est pliée
Dans une boîte trop petite
Pour aller ailleurs,
Partir pour ne plus revenir,
Croire dans un avenir meilleur.


.3 La sommitale de toutes,
Quelqu’en soit le nombre
Renferme la hantise
De vieillir
Et ne plus parvenir
A ouvrir les fermoirs
De toutes ses valises
Gardiennes de nos mémoires

MJeanne Brolly
Inspirée par la photo 10 de Marie Burel


Bagages d’un voyage vers le passé
Passés imprévisibles
Comment agit en dedans
l’espace du souvenir ?
Qui revient me visiter ?
Face aux verrous , ne pas forcer, ne pas vouloir
Absorber et ressentir les voyageurs des valises
qui s’ouvrent
Ah c’est toi ? D’accord. Welcome, viens, on va retraverser la rivière,
le désastre, la joie, le désert, les souterrains, la fête foraine
M-M-M-M émotions
Tiens tiens ! Papier rose. Le joli bouquet
d’un mariage que je n’ai pas vécu
M-M-M-M émotions
Entre ici et là-bas, savoir revenir sans souffrance ni regret
Tout un art …
Surfer jusqu’au lac étale
Photo – vie couleurs – sans noir ni blanc
Cut ! Back to the present
Immobile, tranquille si tu peux

Catherine Valette
Inspirée par la photo 10 de Marie Burel


Les volets sont fermés,
la lumière a baissé
Un peu de fumée pour effacer les rides,
l’alcool pour apaiser la nuit.
Nous sommes seules toutes les deux dans
cet élégant noir et blanc.
Les masques sont tombés,
le destin est en marche.
Il est temps de jeter les dés.

Denis Infante
Inspiré par la photo 15 de Pierre-Julien Quiers


Confinement

Ça a quand même pas mal d’avantages d’être confinées dans un bar…
Ouais…
Surtout que j’avais refait les stocks juste avant le début du confinement.
J’avais fait rentrer 300 bouteilles de Côtes du Rhône et 60 cubis, 20 de
blanc, 20 de rosé et autant de rouge. On a de quoi voir venir…
Tu penses qu’on peut tenir combien de temps avec ça ?
Oh, deux ou trois mois, je dirais, si on fait attention…
Et les clopes, on en a assez ?
Bah, pareil, les stocks sont pleins …
Surtout qu’on n’a plus de clients…
Et que c’est le gouvernement qui paie …
Bon, allez, à toi de jouer !
5 et 2. Merde, j’ai perdu !
Allez, c’est toi qui t’y colles …
Ah non ! J’en ai marre ! Ça fait cinq fois de suite que c’est moi qui descends
à la cave !

Philippe Veyrunes
Inspiré par la photo 15 de Pierre-Julien Quiers


Hasard du jeu

Tu tires une taff et fixes la main tremblante d’Elvire. « On joue pas sa vie sur un coup !
C’est n’importe quoi cette idée !» La phrase cogne tes pensées, les tord comme une ser-
pillère que t’aurais dans la tête, reste essorée, bloquée. « Allez! Dépêche ! Qu’on passe à
autre chose… »
Toi, tu n’y crois pas à ces pensées magiques. Un chiffre qui te dit de rester, de continuer
ou de tout balancer. C’est comme si tu te disais « Allez ! Quatre cent vingt un et je me
coupe un pied ! » Toi, t’es pragmatique, concrète. « Un chat, c’est un chat ». Tu t’em-
barrasses pas de croyances à deux balles. Tu organises, tu gères, tu assures midi et soir.
Soixante couverts. Faut que ça pulse.
Pas de questions à se poser !
Ton monde c’est le fumet de poisson qui flirte avec la cannelle du crumble, le sucré qui
fricote avec l’amer, le moelleux sous le croquant… Les tables bien mises, qui disent « Al-
lez, venez ! » Les fauteuils douillets qu’on n’a pas envie de quitter. Les couleurs dans l’as-
siette qu’on déguste avec les yeux autant qu’avec le palais. Les verres qui trinquent, le vin
qui chatouille la gorge. La vie qui se met à chanter. L’espace d’un instant. Le temps d’un
vrai repas. Le temps d’oublier… Ce ciel chargé d’automne qui s’effondre en déluge sur
la Vidourle et la fait déborder ; l’hiver qui pique et fait barrage aux grandes tablées sur la
terrasse, chacun chez soi, volets fermés ; le soleil d’été dur comme une pierre qui étouffe,
empêche de respirer, vide les cours d’eau, les dessèche un peu plus chaque année…
— Alors tu les lances tes dés ?
C’est sorti comme une baffe dans la gueule, car elle commence à t’énerver à pas savoir
ce qu’elle veut. « J’y vais, j’y vais pas, … » Pas que ça à foutre ! Y’a encore toute la salle
à débarrasser. Et à peine quelques heures de sommeil avant de recommencer. Alors ses
histoires de dés, ça commence à te gonfler.
— Allez j’y vais… j’me lance. V’lan !
Et ça roule ; grains d’ivoire jaunis d’être tripotés ; pépites d’or blanc malaxées ; lampes
d’Aladin caressées. Ça percute les bords, ça revient au cœur de la piste, salto avant, salto
arrière ; ça tape, comme une balle de ping-pong… UN…Et v’là tes yeux aimantés par ces
billes qui se la jouent starlettes ! QUATRE…. Et tu mattes ces perles noires, t’attends.
T’attends quoi ? C’est pas toi qui joues. C’est elle ! DEUX …
— 421
Qu’elle hurle dans le café. Et toi t’es accrochée aux étincelles qu’elle te lance, pour te dire
« Gagné ! ». Tu la fusilles du regard comme si elle braquait un flingue pour te dépouiller
…T’as envie de lui faire avaler ses putains de dés.
— C’est bon, j’men vais …J’pars au Paraguay !
Elle pouvait pas imaginer … qu’elle jouait aussi ta vie aux dés.

Marie Sollens
Inspirée par la photo 15 de Pierre-Julien Quiers


  • Tu sais pas ?
  • Quoi ?
  • Ben, Fafa.
  • Quoi Fafa? Ça fait 15 ans que je le connais, Fafa. Alors moi, tu sais, Fafa…
  • C’est bien ce que je disais, tu sais pas. Fafa, c’est plus Fafa. C’est SuperFafa. Il a décrété la fondation de la
    République Autogiratoire de Sauve.
  • Mais oui, c’est ça. Il s’est encore fourré dans les emmerdes ?
  • Il nous a prévenu qu’il ferait une déclaration publique.
  • Ça m’étonnerait, Fafa, il fait tout au black. Il déclare rien du tout.
  • Tu captes pas. Une déclaration, sur une radio libre à fréquence directe !
  • Allez… C’est nouveau, ça vient de sortir ?
  • Jeudi après-midi, on était sur la terrasse avec les habitués, tranquilles. Et là, d’un coup, la zic, à fond, du keupon
    bien lourd, partout dans les rues, à faire trembler les carreaux.
  • Non…
  • Au bout d’une minute, sa voix à Fafa, grave, à fond dans la sono. Tu sais comment il est ? Un truc à réveiller
    les morts.
  • Qu’est-ce qu’il bavait ce clown ?
    « Il est temps pour nous mes ami.es d’accéder à un état de conscience collectif supérieur, de nous ouvrir à
    l’intelligence naturelle par l’éblouissement perceptif ». Des trucs comme ça.
  • Fafa, genre ashram, l’encens partout et tout? N’importe quoi.
  • Avec Josie, on cherchait, on cherchait, on le voyait pas. On tendait l’oreille. Il continuait, encore et encore.
    « On va plus se laisser emmerder par le premier venu sous prétexte que le préfet lui a donné une bagnole pour
    promener son gyrophare. Plutôt que de regarder Télé Pouvoir, mes ami.es, il est temps. Écoutons le chant du
    vent dans les branches des platanes. Ouvrez votre cœur aux messages astraux des palmes des canes qui frappent
    en cadence les eaux limpides du Vidourle. »
  • Limpide, le Vidourle ! Il a pété sa durite, le Fafa. Y devait pas être perché encore, tiens.
  • Tu crois pas si bien dire. Avec le barouf, les gens descendaient, un par un, des petites rues. On était une
    vingtaine sur la place, à bailler du bec, le nez en l’air, à écouter sa République Autogiratoire. « Non à l’élargisse-
    ment de la Grand-rue. Non au projet de parking sous-terrain de la Place Astruc. Oui au local, par le local, pour
    le local. » Il nous foutait les poils, ce con.
  • Tu m’étonnes. Et puis ?
  • Et puis bon, quelqu’un a du les appeler à Quissac, pour tapage.
  • Ah, Mme Cliquot, la veuve, comme d’hab ?
  • On a pas su. On s’est dit : le Fafa, c’est un vrai chat, il doit être planqué en hauteur, sur un platane, sur un toit.
    J’ai pensé : il doit être sur le toit chez Laurence. Mais j’ai rien dit.
  • Toi, t’as rien dit ?
  • Laurence, tu sais ?
  • Oui figure toi, pour Laurence, je suis au courant.
  • Bon, les gendarmes se garent. Ils nous font comme ça : « On s’informe auprès de la population sur les
    nuisances sonores. » Alors nous : « Avant que vous arriviez, y avait pas grand’chose qui nous dérangeait. » Et
    mon Fafa qui continuait sa République dans le micro : « Nous sommes la nature qui se défend ».
  • C’est les Soulèvements ça. No Macadam, Bassine non merci, et tout ce qui s’en suit.
  • Exact. On dissout pas un truc qui pousse comme le chiendent.
  • Darmanin, il peut se le dissoudre, son Efferalgan.
  • Fafa, un moment sur son toit, il s’est levé. Tout le monde l’a vu. Tout en noir contre le ciel. Un masque de
    choucas sur la tête, un grand bec, un tissu noir autour des épaules, le drapeau noir à la main. Ça avait de la gueule
    ! Il se met à cavaler d’un toit sur l’autre, il saute sur les souches des cheminées, la sono sur le dos.
    Nous on gueulait : « C’est la nature se défend ! »
    Les gendarmes ont cerné l’immeuble. Ils sont montés, mais il l’ont pas trouvé. Fafa, envolé ! Y’en a qui disent
    qu’il s’est accroché à un nuage, qu’un planeur de la République Autogiratoire l’a exfiltré vers la mer des Rochers,
    qu’il serait planqué au château de Roquevaire. Moi, ça m’étonnerait, l’hiver c’est fermé, y’a pas
    d’électricité, alors pour l’émetteur de la radio libre à fréquence directe, c’est pas évident.
  • Dis-moi, c’est quoi cette histoire de parking souterrain?

Antoine Mahey
Inspiré par la photo 15 qui régarde la photo 17 de Pierre-Julien Quiers


Le temps disparait
Se noie dans les couleurs et les volutes de brume
Planant sur les crêtes,
Nous faisant douter de toute réalité
Nous demandant de nier nos origines
Effaçant cette sensation d’exister
Notre principal fondement, celui qui nous éloigne
Des autres formes de vie,
Nous isolant de la beauté et de la simplicité.

Loïc Dumas
Inspiré par la photo 18 d’Erwan Inizian


Et parce QUE LA MONTAGNE

parce qu’ici loin derrière le monde

l’exhubérance infinie
dans les angles des ombres


jette

sortilèges
débris de miroirs
échos muets
grimaces indéfrichées
échardes indéchiffrables


parce qu’ici loin derrière le monde


les caprices secondes
sous les siècles assoupis

soufflent


silences en échos
rondes d’Hélas
myriades de Pourquois
chapelets d’infinis
transes sorcières


Oui parce qu’ici loin derrière le monde

quelques âmes relevées
par-delà l’intime


enfournent


source lumière
impromptus crépuscules
songes inavouables
magies charnelles
mémoire solitaire


ici loin derrière le monde

les humeurs sauvages
par-dessus crépuscule


sertissent

vertiges lactés
splendeurs minérales
arcades diaphanes
périls baroques
pulsations frontales


Et oui parce qu’ici


les silhouettes naufragées
derrière le duvet bleu

avouent


bonheur insoupçonnable
joie excessive
ivresse dénudée
folies englouties
promesses recousues
et que parfois il est bon d’être enfin seul.e au monde

Boulie
Inspirée par les photos 18 – 19 – 20 d’Erwan Inizian


Tout a commencé avec cette photo imprimée sur du papier quelconque, probablement du
80g, et cela n’a aucune importance. L’important c’est ce que l’on découvre sur cette photo :
une machine à écrire d’un autre temps, d’un autre siècle, que l’on ne trouve plus nulle part, sauf
dans les musées, chez quelques collectionneurs, dans des brocantes poussiéreuses, au fond de
greniers oubliés. C’était une autre époque, celle ou ma grand-mère avait appris à taper aussi
vite que ces collègues dactylos sans utiliser ses petits doigts bien trop courts pour atteindre les
touches mécaniques. Bon, je m’égare dans la nostalgie et m’écarte du propos du jour.
L’intrigante photo nous présente donc une machine à écrire sur laquelle une feuille est insérée, dactylographiée, à priori en espagnol, à peine lisible. Le papier est clafi de taches et de
coulures d’encre : des traces irréfutable que la personne qui écrivait n’était pas seule et que les
protagonistes en sont venus aux mains. Il n’y a pas encore de cadavre pour affirmer l’existence
d’un homicide ou d’un féminicide, par contre le texte qui cache une partie non négligeable de
cette photo masque de manière assez naïve de précieux indices et en révèle d’autres relatifs aux
mobiles du crime.
« Que vous inspire cette photo ? » – Que les assassins sont joueurs et que la victime est morte
par asphyxie.
« Expo collective » – Nous sommes en présence de plusieurs criminels qui n’hésitent pas à
s’afficher en public.
Une expertise en numérologie devrait être diligenté sur la base des chiffres suivants 25, 11,
17, 30, 8, 2, 2023 et confirmera mes hypothèses.
« Vernissage et lectures samedi 25/11 à 17h30 » – Ceci est un message codé à l’attention
criminels afin qu’ils se réunissent et pratiquent leur rituel de purification.
Pourtant dans le lot, il y en a une, peut-être plus sensible que les autres, qui n’ose plus nous
faire face alors qu’autour d’elle les regards se dispersent pour créer des fausses pistes et ses
voisins nous fixent avec fierté.
Je n’ai jamais oser aller aborder de la femme du 24, alors qu’elle est probablement la clé de
ce mystère.


Tu regardes du coté de la disparition
D’un regard perdu dans le vide
Tu ne vois rien, tu n’entends rien
Tu enserres tes genoux, tu recroquevilles ton corps
Que t’importe la chaleur des pyramides quand l’aventurier t’ignore
Que t’importe les visiteurs quand tu ne regardes plus personne
Que t’importe le chemin caillouteux quand tu restes figée
Que t’importe la pluie sur les vitres quand tes larmes sèches foisonnent
Tu rassembles le peu qu’il reste de toi
Telle une étoile qui s’effondre sur elle même
Rétroversion du cœur
Tu regardes du coté de l’apparition attendue

Zitoun
Inspiré par la première affiche et la photo 24 d’Adrien Tache


Le Livre

Cela fait des semaines que je chemine sur ces terres racornies, arbres implorant la
pluie et tendant leurs branches dénudées vers un ciel désespérément bleu, landes
poussiéreuses parsemées d’ossements, vaches, moutons ou chevaux, lits de rivières
envahis par le sable où gisent quelques fragiles squelettes, poissons, cormorans ou
goélands.
Peu à peu je me suis habitué à ces paysages désolés. À force de cheminement sur des
sentes caillouteuses et épineuses, mes pieds nus se sont burinés, couverts de cals et
de croûtes. Aujourd’hui, même la marche sur les vieilles drailles à moutons ne me
gêne plus. Ma chair comme mon cœur se sont desséchés et sont devenus insensibles.
J’ai revêtu une robe de moine qui protège ma peau de roux des ardeurs du soleil. Ses
couleurs brunes se fondent dans le paysage et me dissimulent aux yeux rapaces. Sous
son ampleur, j’ai serré mes biens les plus précieux : ma gourde en peau de vache,
quelques rustiques nourritures, fromage de chèvre dur comme pierre, morceau de
couenne ou de pain tout aussi durs, quelques olives. Et le livre que j’ai emporté avec
moi.
Bientôt j’espère arriver dans une de ces communautés dont j’ai entendu parler, dans
les Hautes Cévennes, du côté du Col de la Luzette. Il parait qu’ils accueillent les
errants de bonne volonté prêts à travailler dur. On dit aussi qu’ils ont de l’eau, une
vaste citerne dans laquelle ils puisent précautionneusement et qu’une source étique
alimente encore un peu.
Dans les contreforts du massif de l’Aigoual, j’ai trouvé un merveilleux chemin, pur
minéral, une âpre calade bordée de deux murets de pierre sèche bâtis par un antique
peuple d’éleveurs. Sous le soleil de midi, j’ai fait une halte. L’ombre chiche d’un arbre
effeuillé ne me protège guère. J’ai grignoté un morceau de fromage, trois olives et un
peu de pain, puis j’ai sorti le livre pour un moment de lecture. Grâce à lui je m’évade
de ce monde assoiffé.
Il s’intitule : Contes de la pluie…

Philippe Veyrunes
Inspiré par la photo 27 de Przemyslaw Dominik


Page blanche

Les cailloux têtes dures ont mangé ses souliers
ses yeux ont bu rose, vert, bleu tendre du ciel
blanc léger des nuages
de ses mains il a balayé les feuilles
de ses bras embrassé l’un après l’autre les troncs
et puis
il s’est assis
pieds nus et les mains pleines
il a écrit
mot après mot
dans un cahier aux pages blanches
un mot pour un pas un mot pour une feuille
un mot un pas un mot un pas une branche
et
quand il a fermé le cahier, clac !
Tout a disparu
le chemin les pierres usées
le vert du ciel
le bleu des arbres
les feuilles roses
et la douceur des nuages
gobés, avalés entre les pages.
alors il s’est levé
pieds nus, encapuchonné
ne laissant derrière lui
ni chemin, ni ciel ni branches
plus d’images
mais seulement
lavée délavée usée,
une page blanche.

La MC.
Inspirée par la photo 27 de Przemyslaw Dominik


La rugosité et le tranchant acéré des pierres du chemin.
La sécheresse et le piquant de la végétation.
La photo est prise en hiver. Les feuilles en vie sont d’un vert
sombre troué de branches dénudées.
Les pierres du chemin sont étonnamment teintées de rose.
D’où vient la lumière ? Malgré elle, ce monde semble froid,
figé dans l’attente du printemps, la tendresse du printemps.
La photo ne permet pas d’entendre bruire le monde des
insectes, de percevoir les mouvements furtifs ou lents de tous
les non-humains qui peuplent ce décor.
Voilà, le mot est lâché : serait-ce un monde de non-humains ?
Minéral, végétal, animal mais non-humain ?
Ce serait mal regarder : tout au fond, à droite, assise contre le
tronc d’un arbre, une silhouette encapuchonnée.
Il faut s’approcher pour voir les pieds nus, les mains qui
tiennent un livre ouvert et le visage de biais penché sur la page.
Mais là, tout nous est donné : le prédateur est hors champ.
Ne reste que la tendresse, la chaleur et la douceur de la peau,
la puissance des doigts qui tiennent le livre ouvert et l’intensité
du regard posé sur la page.
On ne saura pas dans le détail ce que raconte le livre. On sait
seulement que c’est important.
L’homme assis dans la tranquillité, avec sa fragilité et sa
puissance, sa capacité à rendre compte de tout ce qui vit
autour de lui, participe à l’harmonie du monde

Danielle Rieu
Inspirée par la photo 27 de Przemyslaw Dominik


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